Une goutte d’eau     

Extrait (réactualisé) d’un article du Monde de mars 2007

 

La qualité de l'eau est un sujet lancinant que chaque gouvernement trouve dans sa corbeille, à son arrivée, et qu'il transmet à son successeur sans avoir résolu le problème. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a par exemple adopté en conseil des ministres le mercredi 9 mars un projet de loi sur l'eau. L'objectif affiché dans ce projet est que la France ait « d'ici dix ans, une eau de totale qualité dans la nature », a indiqué Serge Lepeltier, ministre de l'écologie de l’époque. Paris, très en retard dans ce domaine, tente ainsi de respecter la législation européenne.

L'eau est un exemple de confrontation brutale entre intérêts économiques et impératifs de protection de l'environnement et de la santé. La majeure partie des pollutions (nitrates ou pesticides) est d'origine agricole. Même si elles sont moins touchées que la Bretagne, véritablement sinistrée sur ce plan, la plupart des régions agricoles connaissent ce problème. Au point qu'il est souvent difficile de respecter les normes minimales de qualité de l'eau du robinet.

Or la pollution par les pesticides est d'autant plus préoccupante que de nombreuses incertitudes subsistent autour des effets, sur la santé humaine, de l'ingestion pendant une longue période d'une eau polluée. Cet antagonisme fondamental renvoie chacun, les présidents de la République eux-mêmes. à leurs propres contradictions. Il y a eu par exemple d'un côté le Jacques Chirac converti à l'écologie, qui imposait à son propre camp l'intégration dans la Constitution d'une charte de l'environnement. Et, de l'autre, le Président en symbiose avec le monde agricole, qui tenait à conserver ses liens anciens avec un électorat de droite traditionnel, même si son poids numérique ne cessait de diminuer à l’époque. Cette contradiction se retrouvait dans le texte lui-même, qui prévoyait non pas de limiter les sources de pollution mais de renforcer la politique de dépollution. Paradoxe : pour l’essentiel, les mesures envisagées n’ont pas touché les agriculteurs. Pour limiter les effluents agricoles, M. Lepeltier comptait sur la nouvelle politique agricole commune européenne, qui lie l'octroi d'aides publiques au respect de l'environnement. Dans le domaine de l'eau, le principe « pollueur-payeur » ne s'applique guère. Les agriculteurs, qui polluent beaucoup, paient très peu. Or le projet de l’époque ne leur imposait aucune nouvelle taxe. La taxation sur les nitrates des élevages industriels a été abandonnée, conformément aux promesses de campagne du candidat Chirac en 2002. En outre, le projet conservait le mode de financement très inégalitaire des agences de l'eau, chargées de la dépollution. La diminution de la contribution dans le budget des ménages n’ayant diminué à l’époque que 4% (82 % au lieu de 86%) alors que celle des agriculteurs n’a augmenté que de 3 % ( 4% au lieu de 1 %). Les plus optimistes n’ont vu dans ce projet qu’une modeste étape pour disposer un jour d'une eau saine. Mais il y a plus de raisons de juger que ce texte n'est pas à la hauteur de l'enjeu, qu'il pérennise une situation choquante et ne responsabilise toujours pas les pollueurs.

 

Cette étude nous montre une nouvelle fois que la France grand consommateur mondial de pesticides n'est pas épargnée par cette dramatique pollution. Avec 1,7 % de la surface agricole utile en bio soit 98,3% des surfaces en agriculture polluante en ajoutant les jardins des particuliers, les espaces verts. La France est le plus mauvais élève de l'Europe et s'obstine semble-t-il  à vouloir le rester (voir ce qui se passe aux dernières réunions de l'OMC et le désarroi de Pascal Lamy). Une évolution des consciences des français est encore nécessaire ! Tous les citoyens conscients doivent se mobiliser pour sortir la France de cette impasse, cette mobilisation passe par une évolution dans nos comportements sur le plan de nos modes de vie, de production et de consommation. Cette évolution doit s'accompagner d'une action dans le domaine collectif de la "gestion de la cité". Il est nécessaire que des objectifs ambitieux et des moyens conséquents soient discutés et définis démocratiquement pour avancer vers une décroissance rapide de l'utilisation des pesticides et donc d'un développement plus rapide de l'agriculture biologique et paysanne. Il serait évidemment possible qu'en 10 ou 15 ans l'agriculture biologique et donc durable soit le mode de production agricole majoritaire en France. Cela paraît encore énorme, mais pourtant cela sera possible lorsqu'une majorité de citoyens de notre pays le décidera.

Dès 2008 l'association WWF attirait l'attention sur ce très grave problème  avec une rétrospective sur une cinquantaine d'années