Monsieur le Préfet
Il parait que
pour être Préfet, y compris de petit patelin perdu, il ne faut pas avoir trop
fait la fiesta après le BEPC. Voire qu'il est sacrément recommandé d'être
plutôt callé. Des premiers de la classe, parfois traités injustement de fayots
tout petits, mais qui finissent généralement par se venger en pétant dans les
hautes sphères tout le reste de leur vie. Car Monsieur le Préfet est un gadjo
sacrément important. Tellement important que même lorsqu'il nous fait le coup
de sa complaisante modestie, à l'occasion de ses vœux, c'est toujours en se
désignant comme un simple serviteur mais de l'Etat, du Département voir des
Français. Rien de moins. C'est sûr que ça le fait mieux que de s'autoproclamer
bonniche dans un hôtel de passe. Fonction oblige, le Préfet voyage toute sa
carrière. Sitôt que bobonne a fini d'installer les rideaux de leur nid douillet
et commencé à faire des bises aux copines du club de bridge, que le zozo
annonce leur départ pour un bled situé à l'autre bout de la France. Un drame
pour Madame qui généralement tourne aux antidépresseurs, mais aussi pour le
Préfet qui finissait juste d'apprendre les noms des communes et des principaux
élus du coin. Pour les péquins moyens qui habitent l'endroit depuis tout petit
et essayent d'y vivre, ce petit turn-over peut même finir à la longue par
fatiguer. Il suffit d'ailleurs d'imaginer tenir le bon, constater que celui-ci
est à l'écoute, va faire avancer tout un tas de projets, pour que sa seigneurie
se casse illico, laissant à son successeur la joie de refoutre le merdier à
tous les étages. L'inverse est d'ailleurs également vrai. On ne compte plus les
fois où notre brave représentant de l'Etat solde un tas de patates chaudes vite
fait avant son départ, signe deux ou trois cadeaux aux bétonneurs du coin,
comme une petite micro sur la Santoire et zou, refile
au suivant le bébé et les manifs qui vont avec. Bref ! Pour les locaux,
l'affaire tourne parfois à la loterie. Des fois, on tire le bon numéro et
parfois c'est la cata. Et pour les départements de montagne, la tuile arrive
généralement dès que Monsieur le Préfet, après avoir sévi dans tous les
départements d'outre-mer, déboule en fin de carrière dans un sympathique
département où la pousse des cocotiers n'est pas vraiment le problème. Il y a
des exceptions et même parfois des heureuses reconversions. Mais c'est tout de
même rare. Au chaud dans son bureau qui rendrait jaloux Louis la Brocante, le
Préfet déboule en zone hostile et découvre généralement effrayé tout un tas de
choses, aussi incroyables les unes que les autres. Et dans les doux
départements d'air pur et d'altitude, la liste est longue. N'imaginez pas que
ce soit des trucs que seuls quelques scientifiques pervers peuvent savoir. Au
contraire. Tenez, en montagne, les rivières peuvent avoir de l'eau et même
parfois beaucoup au printemps. De l'eau même chocolat. Si, si ! Parfois même,
dans les torrents il y des arbres en travers et des cailloux. Pire.
Figurez-vous que parfois il y a des citoyens et des étrangers qui naviguent non
encadrés sur ces torrents. Il paraît même que les sports de pleine nature se
pratiquent dans des espaces sauvages et en toute ignorance des risques
encourus. On va de découvertes en découvertes. Vous comprendrez les crises
d'angoisse de notre homme. Car tel un chevalier blanc, Monsieur le Préfet à
l'impérieuse mission de nous protéger de tous ces
nouveaux dangers. Et pour cela, dieu merci, l'arme fatale existe : l'arrêté
préfectoral qui rime généralement avec interdiction et qui souvent fait plein
de petits dans nos communes. Comme une bonne pastille Renie, l'arrêté soigne
illico toutes les aigreurs préfectorales. Comment ? Il y a une crue en juin ?
Interdiction de naviguer sur tout le département. Autorisons la navigation
qu'en période d'étiage.
Que me
dites-vous ? Naviguer par basses eaux dérange les poissons ? Pratique
obligatoire en plan d'eau avec maître nageur diplômé d'état. Quoi ? Il peut y
avoir des branches ? Interdiction de barboter tant qu'il y a la moindre
brindille. Le canotage sur lac est parfois dangereux ? Interdiction de monter
sur un sit-on-top après un barbecue arrosé. Les
kayakistes font parfois la fiesta ? Généralisation des tests d'alcoolémie
embarqués sur toutes les barcasses. Si le système siffle, la pelle reste
bloquée sur le pont. Les kayaks sont d'occasions ? Casse obligatoire pour les
embarcations de plus de 5 ans et contrôle technique à jour pour tous les
autres. "Allez, ouste, tout le monde en pantoufle devant sa wii !"
On peut avoir
froid ? Interdiction de prendre un bain en eau froide. On peut boire la tasse ?
Interdiction d'ouvrir la bouche en pagayant. On peut parfois nager ?
Interdiction de se baigner. Considérant d'ailleurs tout un tas d'autres
risques, il semblerait d'ailleurs plus sage d'élargir un peu et interdire
illico l'alpinisme au-dessus de
Avec le
soutien de tous ceux mis au placard dans ses propres services à priori si
compétents et au final si peu consultés, il serait peut-être temps aussi de
demander à notre bon préfet d'étudier la faisabilité d'un bon et dernier arrêté
de derrière les fagots : celui contre les arrêtés préfectoraux intempestifs.
Stéphane ROUX (Lutin
nautique)