La mort du Rhône
Ce
titre dramatique pourrait être celui d’un opéra de Wagner. Malheureusement, il
ne s’agit ici ni de musique ni d’opéra. Je veux parler du Rhône, du fleuve le
plus puissant de France, né en Suisse à 1 850 mètres d’altitude, qui vient
baigner les rives de Lyon jusqu’à se jeter dans la Méditerranée, en passant par
Tournon, Avignon et Arles. Un arrêté préfectoral, daté du
Il a
fallu du temps pour que cet arrêté fort discret soit connu et que sa
signification trouve un écho dans les médias et dans la tête de tous les
Français. L’automne nous a donné le temps de la réflexion devant une décision
apparemment très ponctuelle, mais pleine d’un symbole étourdissant au moment où
s’ouvre « le Grenelle de l’environnement ». Le Rhône est mort, ses poissons
sont immangeables, répétons-le.
Qu’est-il
donc arrivé de si funeste à cette large voie de communication et d’irrigation
? Sans
être grand connaisseur, il est facile de s’informer, surtout à l’âge
d’Internet. Deux clics sur Google, et vous saurez tout sur les PCB, parfois
nommés Pyralènes*, ces molécules chimiques proches de la famille des dioxines,
qui ont la particularité de ne pas être biodégradables, de ne pas se dissoudre
dans l’eau et de résister au temps qui passe, en s’accumulant dans les maillons
de la chaîne alimentaire qui conduit à l’homme. Ne se dégradant pas, ces
molécules nocives restent telles quelles dans le milieu naturel.
Elles ont été utilisées jusque dans les années 70 pour la fabrication de transformateurs électriques. Leur usage a été interdit à partir de 1980 en raison de leur effet cancérigène. Mais des centaines de milliers d’appareils existent encore sur le territoire.
Il a fallu attendre une directive européenne pour que la France commence un inventaire détaillé, en 2003. En 2004, plus de 500 000 appareils avaient été répertoriés.
Il s’agit maintenant de procéder à
l’élimination des PCB dans un cadre sécurisé, pour éviter la contamination.
Les questions sur la pollution du Rhône ne datent pas de cet été. Dès 1986, le ministère chargé de l’environnement instaurait des normes à ne pas dépasser. Mais les origines de la pollution aux PCB sont confuses.
Des usines sont pointées du doigt, même si les normes d’aujourd’hui sont beaucoup plus draconiennes que celles des années 80. Des pollutions anciennes sont aussi remuées, au point de retourner dans le cours de l’eau.
Car, là est le danger le plus sérieux pour ce type de pollutions qui ne sont pas biodégradables : elles se collent aux sédiments, prêtes à ressortir au moindre mouvement.
Ce sont des centaines de milliers de tonnes de sédiments qui sont contaminés.
Elles se
concentrent aussi dans les poissons, dont l’analyse de la contamination
présente des doses entre dix et quarante fois la dose acceptable
quotidiennement.
Cette mort du Rhône sonne comme une allégorie de notre rapport à l’environnement. Remarquons d’abord notre incapacité à prévoir l’étendue des méfaits d’une pollution et notre lenteur à réagir.
On voit bien que de nombreux intérêts sont
en jeu ; que les auteurs ne cherchent pas forcément à se faire connaître ; et
que les représentants de l’Etat sont soumis à de multiples contingences qui ne
rendent pas faciles leurs décisions.
Au delà de toutes ces bonnes explications, la mort du Rhône manifeste que tout retard pris dans la réaction devant une pollution de ce type est payée gravement pendant de nombreuses années.
Quelle
leçon pour l’ensemble des problèmes de l’environnement dont on connaît la
gravité et la lenteur à les traiter ! Prenons la question des cours d’eau,
précisément. Les directives de Bruxelles, qui sont claires sur ce point, ne sont
pourtant pas suivies par la France, notamment en Bretagne, dont les rivières
supportent des taux de nitrates toujours inacceptables. Le problème est de
savoir si les consommateurs sur place et les habitants ont un droit fondamental
à vivre dans un environnement propre, quitte à bousculer des manières de faire.
Ce
décès du plus large fleuve de France nous amène à réfléchir sur les
perspectives du « Grenelle de l’environnement », qui fut organisé fin octobre.
Un vaste débat a eu lieu entre de multiples partenaires, avec des groupes de
travail qui ont rendu leur copie dès le 27 septembre. Des
réunions interrégionales de consultation se sont achevées le 19 octobre dans
toute la France. Les écologistes, toutes tendances confondues, s’en
réjouissent. Mais il ne faudrait pas que ces Etats-généraux déçoivent les
citoyens avec des mesures uniquement symboliques. Ce nouveau « Grenelle »
est-il vraiment capable de traiter les problèmes de fond ? Il est sympathique
d’inviter les enfants à manger « bio » dans les cantines, mais il y aurait des
propositions autrement plus sérieuses pour respecter les engagements du
protocole de Kyoto - ce que la France ne fait pas. Le « Grenelle de
l’environnement » pourrait faire avancer des projets de réhabilitation
écologique de l’habitat :
énorme chantier à entreprendre sur tout le territoire. Il devrait inviter à
prendre des décisions sur la taxation des émissions de carbone. Il doit
généraliser le traitement des eaux usées et des déchets dans des conditions
maximales de sécurité. Il doit proposer des politiques à long terme sur la mise
en place de solutions alternatives pour les transports en automobile et la
circulation des camions, quitte à bouleverser la localisation des productions.
Depuis quarante ans, le nombre de camions sur les autoroutes ne cesse
d’augmenter, au point de produire des files continues sur la voie de droite des
grandes autoroutes. A quand le ferroutage, dont on parle depuis des années
? La
mise en place d’une deuxième ligne de ferroutage en France, entre Luxembourg et
Perpignan, est certes un début ; mais un train tous les deux jours sur cette
ligne, ce n’est pas une initiative très efficace
! |
Il y avait pourtant de bien beaux poissons sur le Petit Rhône |
Le
passage du « Grenelle de l’environnement » à la phase législative sera
décisive, car, si nombre de parlementaires sont prêts à aller de l’avant,
d’autres se disent très sensibles à des mesures qui seraient « impopulaires ».
Ils préparent leurs armes contre des positions écologiques « intégristes, non
fondées scientifiquement ». La guerre des mots est déclarée. Les lobbies se
préparent à une lutte sévère sur le front des réductions des émissions de CO2.
Il
revient à l’opinion de ne pas se laisser impressionner par des mesures de
façade. Chacun peut facilement s’informer. Les associations de défense de
l’environnement ne manquent pas, et leurs sites sont ouverts à tous. Les
lecteurs peuvent croiser les informations qu’ils y trouvent avec celles de
l’administration. Sur le terrain, beaucoup de choses sont déjà entreprises par
des milliers de fourmis qui font des économies d’énergie, réduisent leurs
déchets, utilisent des transports en commun ou se mettent au vélo. Mais les
bonnes volontés individuelles d’une « société de modération » ne suffisent
plus. Des lois sont indispensables pour imposer des transformations de fond qui
deviennent une urgence.
Rappelons,
si nécessaire, qu’il ne s’agit pas de revenir à la civilisation de nos arrière-grands-parents
et de retrouver un niveau de vie du XIXe siècle, comme le dit avec grande
naïveté ou très mauvaise foi Claude Allègre dans son livre, Ma vérité sur la
planète (p. 49). Il s’agit, au contraire, de pousser notre développement dans
ses aspects les plus techniques, mais en l’orientant de telle manière qu’il
respecte la planète où nous vivons, la seule que nous ayons.
Pierre de Charentenay . « Etudes » novembre 2007
Nota Selon Cyrille Deshayes responsable du "programme eaux douces" la Seine et même certains lacs alpins, pourtant situés en amont , souffrent du même mal que le Rhône .
Sur ces lacs, l'Omble chevalier délicieux poisson réintroduit en 1970 fixe le pyralène à des taux qui seraient jusqu'à 40 fois supérieurs aux taux maximum admissible pour la consommation.
* En pratique du Polychlorobiphényle. produit synthétique et liposoluble classé cancérigène et interdit depuis 1987 ayant une demi-vie variant de 94 jours à 2700 ans selon le type de molécule